Immense quartier de New York, Brooklyn est, depuis quelques années, le foyer d’une vie artistique et nocturne plus créative qu’à Manhattan, devenu hors de prix. L’embourgeoisement guette déjà, mais des résistants éclairés lui opposent un mode de vie inventif et harmonieux. Rencontre avec ceux qui cherchent des alternatives à la société de surconsommation, et petit carnet d’adresses gratos spécial Brooklyn ! Brooklyn est plus relax que Manhattan. La qualité de vie y est supérieure : plus d’espace pour vivre, des restaurants meilleurs et moins chers, une vraie diversité, une facilité pour circuler en vélo, de bonnes liaisons métro pour l’ouest… A Manhattan, les gens passent toujours plus de temps à travailler pour payer leurs factures. » L’amoureux de Brooklyn qui vous parle, c’est Peter Krashes, un artiste habitant le quartier de Prospect Heights. Avec un autre artiste, Oliver Herring, ils ont acheté leur grande maison, qui est aussi leur studio de travail, juste avant l’explosion immobilière du quartier, autour de 2001. Ils l’ont payée 45 000 dollars. Il y a quarante ans, David Walentas, promoteur immobilier, rachète près de 200 000 m2 juste en dessous du Manhattan Bridge, sur la rive est de l’East River, face à Manhattan. Pendant les vingt ans qui suivent, il passe pour un fou mais, sans ciller, loue ces espaces à des artistes. « Il nous a montré des appartements en 92, se souvient Peter Krashes. Il y avait à peine l’électricité, des pigeons volaient à l’intérieur. Aucun magasin dans le quartier. On s’est dit que son projet ne marcherait jamais. » Les changements, pourtant, ont eu lieu. Ce no man’s land, inconnu de la plupart des New-Yorkais dans les années 80, est peu à peu rénové par les artistes et devient un chaleureux foyer de créativité… Aujourd’hui, les seuls artistes qui vivent encore dans les immeubles de “Dumbo” (“Down Under Manhattan Bridge Overpass”) sont passés du côté des riches propriétaires, finançant ainsi, pour certains, les seules galeries qui demeurent. Les autres ont été repoussés plus loin, vers Bushwick. Dynamique artistique Un ancien danseur de la troupe de Merce Cunningham y a ainsi ouvert un studio, Chez Bushwick, qui permet la location d’espaces de répétition très peu chers dédiés aux jeunes chorégraphes émergents. Tout près de là, 3rdWard est un collectif « incubateur pour l’art et le design », dont les membres paient une cotisation annuelle qui leur donne accès à des magasins de métal et de bois, des studios photo, des “media labs” et autres espaces. Le centre attire aussi bien des professionnels très compétents que des amateurs, et génère des revenus importants, même en temps de crise. Les promoteurs guettent, mais les habitants prennent soin de la communauté créative dynamique (ateliers, restos, vie de quartier…) créée par 3rd Ward. Dans le genre success story, le Français Lucien Zayan n’a rien à envier à ses camarades locaux. Lors de vacances, cet ancien producteur de théâtre tombe sur une usine abandonnée encore pleine de ses vieux stocks : accessoires de mode et, surtout, laisses de chiens rigides avec, au bout… un collier vide. Appelé “Invisible Dog”, l’objet a fait un malheur aux Etats-Unis dans les années 70. Lucien tombe amoureux du bâtiment, et contacte le propriétaire. Mais il n’a pas d’argent et essuie d’abord un refus, avant d’être rappelé une fois rentré en France. C’est la crise, et reconvertir le building en logements chic n’est plus une option. Les propriétaires acceptent donc le projet de Lucien, qui part s’installer à New York, organise un marché aux puces avec le contenu de l’usine, trouve ainsi de l’argent en même temps qu’il est finalement aidé pour retaper le bâtiment. Peu de temps après, le centre d’art The Invisible Dog ouvre. A l’étage, Lucien loue des studios d’artistes et un espace magnifique pour des fêtes privées. En bas, il invite les commissaires en vue pour des expositions gratuites. L’endroit est somptueux, impressionnant, et son succès, immédiat, relayé dès l’ouverture par le New York Times, et, depuis, par de nombreux medias internationaux. Vivre gratuitement Mais à Brooklyn, la résistance n’est pas seulement artistique. Thadeus Umpster est de ceux qui ne croient pas en la toute-puissance de l’argent. Il a 29 ans mais est adepte depuis longtemps du “freeganisme”, ou comment vivre gratuitement, et aider ceux qui veulent en faire autant. « Je suis mal à l’aise dans un grand magasin, je me sens aliéné par la culture de la consommation», explique-t-il. Sauf qu’au lieu de s’engager en politique, il a préféré fonder avec des amis un collectif, In Our Hearts, qui a édité pendant longtemps un calendrier des événements gratuits à New York, et fondé un centre de soutien scolaire et une bibliothèque gratuits. Ils organisent aussi régulièrement des repas de quartier où la nourriture est entièrement gratuite. « Il s’agit de dons de magasins ou bien de nourriture récupérée dans les poubelles des supermarchés, mais encore bonne parce qu’elle a été jetée avant la date de péremption. » Thadeus est colocataire d’une mai- son, et ne travaille que deux heures par jour pour avoir le strict minimum. Son dernier succès, c’est le Free Store, ouvert à l’été 2010 : au début, une tente contenant des objets, vêtements, livres, etc., donnés par des étudiants repartis dans leur ville, ou par des habitants du quartier, le tout en libre service. L’aventure continue, avec tant de succès que la tente est devenue une boutique en bois. On y prend ou y apporte des choses. Thadeus se vêt ainsi. Il possède un vélo pour réduire les dépenses de transport au minimum, et se rend essentiellement à des concerts et autres événements gratuits, « qui sont de bien meilleure qualité à Brooklyn qu’à Manhattan ». A bon entendeur… Offrez-vous deux jours gratuits en été dans le quartier préféré de Paul Auster et Spike Lee, vraiment moins cher et plus cool que Manhattan. Tôt le matin, sillonnez Prospect Park (450 Flatbush Ave.), aussi relax mais à la végétation plus belle et plus sauvage que son Central cousin de Manhattan. Vers midi, rendezvous à la grande piscine en plein air Kosciusko Pool (670 Marcy Ave., tél. : (718) 622-527), pour piquer une tête avec les gosses du quartier, faire des longueurs peinard dans le bassin adulte (souvent vide), ou bronzer sur le béton bleu. C’est gratuit, mais n’oubliez pas votre cadenas pour le vestiaire. Grignotez une salade ou un sandwich succulent (d’accord, ce n’est pas gratuit, mais c’est bon et pas cher) au Colador Café (1000 Bedford Ave., entre De Kalb Ave. et Kosciusko St., tél. : (718) 399-1934), puis allez prendre (gratos, donc) une fripe en fourrure ou un vinyle de Sinatra, ou bien déposer de vieilles affaires à donner au Free Store de Walworth Street, à deux pas de Kalb Avenue. Parlez avec les jeunes sympas de la maison blanche d’à côté pour enchaîner sur un “community dinner” gratuit et délicieux, où vous rencontrerez des artistes et autres bohèmes du quartier (dates et heures sur www.myspace.com/anewworldinourhearts, ou en écrivant un mail en anglais à inourhearts@gmail.com). Le lendemain, cap sur les Brooklyn Heights, sans doute le plus joli point de vue depuis Brooklyn sur Manhattan. Attrapez le ferry gratuit (dates d’ouverture sur www.govisland.com) pour aller passer une journée sur la très peu touristique et pourtant merveilleuse Governors Island : magnifiques maisons des officiers de l’armée américaine du siècle dernier abritant aujourd’hui des ateliers d’artistes, promenade en bord de mer avec les familles des juifs hassidiques de Brooklyn qui adorent y passer la journée, vue superbe de Manhattan, vélos à louer, pelouses pour se reposer… Reprenez le ferry en fin de journée pour admirer le flamboyant coucher de soleil à regarder depuis les Brooklyn Heights. Puis allez vous enfiler de bonnes bières assorties de délicieuses pizzas cuites au four et gratuites au happy hour (jusqu’à 3 h du matin) de l’Alligator Lounge (600 Metropolitan Ave., entre Lorimer St. et Leonard St., tél. : (718) 809-4440). Le dimanche matin, foncez au premier service du Brooklyn Tabernacle, une église possédant l’un des plus beaux choeurs de gospel de New York. Pour ne pas être un touriste parmi tant d’autres, choisissez le service du matin, tôt, mais assurez vous (www.brooklyntabernacle.org, ou tél. : (718)290 2000), en semaine, que le choeur est bien au complet. Aux autres heures, gare à la queue ! Après une visite de l’expo gratuite du centre d’art The Invisible Dog (lire article), rendez-vous enfin aux soirées musicales gratuites (il faut juste consommer) du café de l’excellente BAM (Brooklyn Academy of Music, 30 Lafayette Ave., tél. : (718)636 4100).